Brèves sur la Commande Publique

Quelle langue dans les procédures d'appels d'offres des projets financés par des bailleurs ? : Exemple de l'Agence Française de Développement (AFD) et de la Banque Européenne d'Investissement (BEI)
Par
Mariama SADJO et Adrien DOUIEB
Master 2 - Achats Publics / Université Paris Saclay
Si l’aspect technique et juridique des marchés publics est au cœur des discussions, il est nécessaire d’évoquer l’aspect opérationnel, la langue. Pour qu’une offre soit conforme au besoin exprimé par la personne publique, elle doit être rédigée dans la langue commune aux parties au marché. En effet, la langue est bien celle officielle dans le pays du marché. Bien que cette règle soit implicite pour les marchés publics, en France, l’usage de la langue française est prévu dans la loi du 4 août 1994(1). Il est ainsi indiqué à son article 5 : “Quels qu'en soient l'objet et les formes, les contrats auxquels une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public sont parties sont rédigés en langue française. Ils ne peuvent contenir ni expression ni termes étrangers lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même...”
Pourtant, la référence linguistique dans les marchés publics financés par des bailleurs n’est pas si évidente. En effet, la crise économique des années 80 a obligé les Etats africains à recourir à l’aide publique au développement pour assurer les dépenses publiques. Dans ce contexte, plusieurs bailleurs de fonds sont intervenus dont l’UE qui dispose de plusieurs instruments. Sa principale institution financière en la matière est la Banque européenne d’investissement. Créée en 1958, elle accorde des financements bancaires, prêts et garanties aux Etats africains pour des projets d’investissement publics. Certains fonds qu’elle alloue sont mis en œuvre par des agences bilatérales, tel que l’AFD. Créée en 1983, l’Agence française de développement est l’institution financière publique française qui finance les marchés publics africains à travers des prêts.
Les marchés publics financés par ces bailleurs sont régis par des directives spécifiques adoptées à cet effet(2). Elles contiennent des dispositions encadrant la vie du projet, de la passation à l'exécution, les principes traditionnels de la commande publique (non-discrimination, impartialité, et transparence des procédures). De plus, le marché fait l’objet d’un contrôle à postériori.
Notre analyse tient tout d’abord à rappeler que l’appel d’offres est le principal mode de passation de ces marchés. Ouvert ou restreint, il permet au pouvoir adjudicateur de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse, sans négociation, sur la base de critères objectifs préalablement portés à la connaissance des candidats. Il va de soi qu’une telle offre doit être comprise par le pouvoir adjudicateur. A ce propos, puisque le cadre des marchés publics africains repose sur des normes importées, la question qu’il faille se poser est celle de savoir quelle langue contractuelle prévoient les directives des marchés financés par la BEI et l’AFD ? Autrement dit, ces directives envisagent-elles le recours à la langue officielle de l’Etat bénéficiaire ?
En premier lieu, les documents encadrant la passation des marchés de la BEI devront être rédigés dans l’une des langues officielles de l’Union européenne (de préférence en anglais ou en français). Néanmoins dans certains cas particuliers, le dossier d’appel d’offres original peut être rédigé dans la langue du pays (et cette version peut également être choisie comme celle faisant foi en cas de litige), à condition que le promoteur mette à la disposition de la Banque et des soumissionnaires une traduction certifiée. Ainsi, le dossier d’appel d’offres international et les offres sont en principe régies par l’une des langues officielles de l’UE choisie par le bénéficiaire. Le recours à la langue officielle du bénéficiaire est subordonné à une traduction dans l’une des langues officielles européennes.
Toutefois, les marchés dont la valeur est inférieure à certains seuils (5 millions d’euro pour les travaux et 200 000 euros pour les fournitures et les services) sont passés via la procédure d’appel d’offres national. A cet égard, le dossier d’appel d’offres est en principe rédigé dans la langue officielle de l’Etat promoteur.
En second lieu, les normes de l’AFD disposent que les documents d’appel d’offres, les candidatures et les offres doivent être rédigés en français, anglais, ou espagnol ou choix du bénéficiaire. Le marché signé sera rédigé dans la langue qui aura été choisie au préalable. L’Etat bénéficiaire peut en outre choisir une langue “additionnelle”. En pareil cas, les candidats et soumissionnaires soumettent les candidatures ou offres dans l'une ou l'autre de ces deux langues. Le marché est rédigé dans la langue dans laquelle l’offre du titulaire a été soumise. S'il ne s'agit pas d'une des trois langues précitées (français, anglais, espagnol) et si le marché est soumis à un contrôle a posteriori, le bénéficiaire devra fournir une traduction de l’offre et du projet de marché dans l’une des trois langues précitées dans laquelle les documents de passation ont été rédigés.
Il convient de préciser que le marché ne sera signé que dans une seule langue.
Néanmoins, les documents d'appel d'offres et offres des marchés d'une valeur inférieure à 5 000 000€, doivent être émis dans la langue officielle de l'État bénéficiaire. A cet égard, les soumissionnaires étrangers intéressés peuvent présenter une offre dans les mêmes conditions.
A l'image de la “clause Molière” en France, on constate que les directives de l’AFD et celles de la BEI, n’imposent pas une langue contractuelle unique. La langue de la procédure varie en fonction du choix du bénéficiaire, entre le français, l’anglais et l’espagnol. Imposer de façon systématique la maîtrise de la langue française pour la passation et l'exécution du marché public constituerait une violation du principe de non-discrimination et porterait atteinte au principe d'égal accès à la commande publique.
1. Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française
2. Directives pour la Passation des Marchés financés par l'AFD dans les États étrangers, 2019 ; Guide de passation des marchés pour les projets financés par la BEI, septembre 2018.
Travail réalisé dans le cadre du Séminaire de Droit de la Commande Publique en Afrique (dispensé par Maître Lewis NSALOU)
Le modèle français des CCAG : Quelle place dans les cadres juridiques à tradition civiliste ?
Par
Marine BRILLAUD DE LAUJARDIERE et Idrissa DIALLO
Master 2 - Achats Publics / Université Paris Saclay
Le cahier des charges est, selon sa conception française, un document contractuel qui permet au maître d’ouvrage d’informer le maître d’œuvre ce qu’il attend qu’il fasse dans la réalisation du projet. Le cahier des charges permet de décrire avec précision les besoins auxquels le prestataire ou le soumissionnaire devront répondre. Il intervient tôt dans l’élaboration du projet et permet de sélectionner le futur titulaire du marché. Une fois le titulaire du marché sélectionné, le cahier des charges permet d’organiser la relation contractuelle au cours de la réalisation du projet.
Le cahier des charges protège aussi bien le maître d’ouvrage que le maître d’œuvre. En effet, le maître d’ouvrage a la certitude que la réalisation du projet se fera conformément à ses attentes et le maître d’œuvre est assuré qu’il pourra mener sa mission sans subir le contrôle inopiné du maître d’ouvrage. Le cahier des charges est constitué de plusieurs pièces : l’acte d’engagement, le CCAP, le CCTP, les annexes techniques, le CCTG et le CCAG de référence.
Dans la conception française, le Cahier des Clauses Administratives Générales (CCAG), qui est l’une des pièces du Cahier des Charges, est un instrument modélisé à vocation générale, approuvé par arrêtés qui détermine les conditions d’exécution de nature administrative applicables à une catégorie de marchés publics. Il existe six CCAG applicables aux marchés publics depuis la réforme du 1er avril 2021 : le CCAG Fournitures Courantes et services, le CCAG Marchés industriels, le CCAG Technique de l’informatique et de la communication, le CCAG Prestations Intellectuelles, le CCAG Travaux, le CCAG Maîtrise d’œuvre. Le CCAG Maîtrise d’œuvre est un apport de la réforme du 1er avril 2021. Les CCAG permettent de compléter les documents particuliers, comme les Cahiers des Clauses Administratives Particulières (CCAP). Les CCAG sont visés par les articles R. 2112-2 et R.2112-3 du Code de la Commande Publique.
Les CCAG doivent respecter certaines règles. Ainsi, étant donné que l’utilisation des CCAG n’est pas obligatoire, les CCAG ne sont applicables à un marché public que si celui-ci s’y réfère explicitement. Par ailleurs, l’acheteur public ne peut choisir qu’un CCAG par marché. Si certaines prestations doivent être régies par des stipulations qui figurent dans un autre CCAG que celui qui a été désigné dans le marché, celui-ci doit mentionner dans le Cahier des Clauses Particulières les stipulations qui ont été retenues sans faire référence au CCAG dont elles émanent.
L’utilisation des CCAG est facultative mais elle est fortement recommandée car ces clauses générales assurent un niveau minimum de sécurité contractuelle. Ces clauses générales peuvent être complétées ou supprimées, selon la volonté de l’acheteur.
Lors de la colonisation, les pays africains sous domination française étaient régis par le droit français, même si celui-ci était appliqué en fonction des considérations locales, grâce au principe de spécialité.
Une fois l’indépendance, de nombreux pays africains anciennement colonisés par la France ont conservé dans un premier temps le droit français. Ainsi, le modèle de cahier des charges accompagné de cahiers spécialisés pour les grands types de marché est resté en vigueur dans de nombreux pays après l’indépendance. Toutefois, les états ont adopté progressivement leurs propres textes en adaptant le modèle français de cahier des charges.
Quel cahier des charges est utilisé au Cameroun ?
Même si le Cameroun a affirmé sa volonté de s’affranchir du modèle français, le droit camerounais reste influencé par le droit français. Le cahier des charges et le CCAG camerounais ressemblent sur certains points aux modèles français.
En effet, comme en droit français, un cahier des charges en droit camerounais est un document dans lequel l’administration définit les obligations qu’elle met à la charge de l’opérateur économique qui sera titulaire du marché. Les charges sont soit administratives, soit techniques. Par ailleurs, comme en droit français, les personnes publiques publient, à travers un avis, des éléments du dossier d’appel des offres dans lequel elles font connaître les clauses contractuelles des cahiers des charges.
De plus, comme en droit français l’exécution d’un contrat de la commande publique camerounais se caractérise par la présence d’éléments imposés de l’extérieur à travers un cahier des charges. Le cahier des charges en principe n'entraîne pas d’effets de droit car il a une autorité sur les parties au contrat que si le contrat s’y réfère explicitement. Toutefois, lorsque le contrat est conclu, les normes présentes dans le cahier des charges ont une valeur contractuelle, comme si elles avaient été élaborées par les deux parties. Ce schéma est similaire au droit français, car en droit français également les clauses contractuelles d’un contrat de commande publique sont élaborées unilatéralement par la personne publique. L’élaboration unilatérale des normes du cahier des charges restreint la marge de manœuvre du titulaire, qui ne peut qu’accepter ou refuser les conditions proposées par la personne publique. C’est pourquoi, le juge judiciaire estime que les cahiers des charges, en tant que manifestation des prérogatives exorbitantes de l’administration, suffisent à prouver l’existence d’un contrat administratif.
Toutefois, si le juge constate que les clauses souscrites n'ont pas un caractère exorbitant, alors le contrat est un contrat de droit privé (OSE/CCA/CS N0127 du 30 décembre 2010, société Transnational Industries Cameroun (TIC- le BUS) c/Communauté Urbaine de Yaoundé). Cependant, la définition du marché au Cameroun ne précise pas si un contrat est administratif. Cette absence de précision rapproche les contrats administratifs des contrats de droit privé. Cette proximité entre contrats privés et contrats administratifs n’existe pas en droit français, car il existe le critère organique selon lequel un contrat conclu par une personne publique est, sauf quelques exceptions, forcément administratif.
Par ailleurs, comme en droit français, il existe plusieurs catégories de CCAG. Ainsi, l'arrêté n° 033/CAB/PM du 13 février 2007 mettant en vigueur les Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG) applicables aux Marchés Publics abroge l’arrêté colonial n°3430 du 13 octobre 1959 et conserve la classification des CCAG avec un CCAG applicable aux marchés de travaux, un CCAG applicables aux marchés publics de fournitures et un CCAG applicable aux marchés publics de service et de prestation intellectuelle (PSI). Cette nomenclature permet d’assurer, comme en droit français, l’autonomie de chaque catégorie.
Quel cahier des charges au Sénégal ?
Le Sénégal a connu un long processus d’amélioration des procédures de passation et d’exécution des marchés publics dont la plus récente est un décret n°2014-1212 du 22 Septembre 2014 en privilégiant une approche participative et inclusive.
Ces réformes font suite à l’arrêté du 8 avril 1953 portant approbation des cahiers de charges et des conditions applicables aux marchés de fournitures et des services dans les territoires d’Afrique francophone.
L’autorité de régulation des marchés publics a adopté une résolution N° 08/09 relative aux CCAG applicables aux marchés de travaux, fournitures et services.
Les cahiers des charges (article 12 du code des marchés publics sénégalais) déterminent les conditions dans lesquelles les marchés sont exécutés.
Ils comprennent des documents généraux et des documents particuliers dont les CCAG fixant les dispositions administratives applicables à tous les marchés portant sur une même nature : fournitures, travaux ou services. Ces cahiers sont établis par l'organe chargé de la régulation des marchés publics en relation avec les ministères intéressés et sont approuvés par décret.
En regardant de près les CCAG des pays d’Afrique francophone comme le Sénégal, on note que la rébellion juridique et institutionnelle ne s’est pas accompagnée d’une réelle distanciation avec la conception française de la commande publique.
Même en voulant s’approprier en quelque sorte de la commande publique en créant un cadre juridique propre à leur réalité, le Sénégal reste dans un fort mimétisme juridique en se basant sur l’existant du point de vue des textes mais aussi des cahiers de charges.
Ainsi, le code des marchés publics du Sénégal de 2014 est à la fois d’inspiration nationale, des bailleurs et française parce qu’on ne pouvait pas se départir de l’existant.
Le Sénégal est passé du mimétisme, la survivance à la codification des marchés publics.
La codification est une conditionnalité de l’aide financière des bailleurs.
Celle-ci n’est pas à proprement parler d’origine nationale ce qui fait qu’elle va reproduire les mêmes règles des pays du for. A titre illustratif, les CCAG du code des marchés publics sénégalais reproduisent les mêmes que le code des marchés publics français à savoir CCAG travaux, fournitures et service.
Cependant le code de la commande publique française a eu à élargir les CCAG en créant un nouveau CCAG applicable aux marchés de maîtrise d’œuvre.
Le problème de la codification réside sur le fait qu’on aura un droit figé qui ne répondra pas forcément aux préoccupations et réalités nationales. Cette situation constitue un goulot qui étrangle l’économie.
Une meilleure prise en compte des réalités africaines et sénégalaises en particulier donnera à ces dernières sans nul doute un essor sans précédent.
Le Sénégal devrait valoriser sa culture locale en mettant en place entre autres des CCAG propre à la pêche artisanale, à la riziculture. La prise en compte des réalités locales donnera une nouvelle impulsion à la commande publique sénégalaise.
Bibliographie :
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http://publication.lecames.org/index.php/jur/article/view/1855
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Mémoire de Felix Nkou Songue « Marchés publics au Cameroun : entre recherche d’efficacité et pesanteur systémique ».
Travail réalisé dans le cadre du Séminaire de Droit de la Commande Publique en Afrique (dispensé par Maître Lewis NSALOU)
LA DIRECTIVE PPP DANS L’ESPACE UEMOA
De la parole à l’acte 10 ans après la session de Lomé, quelle analyse ?
Par
la Cellule de veille juridique de l’APCPA :
Mamadou DIA, Ruth NGO BAYEM, Marius TRO et John Eric DICKA
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CONTEXTE
Les partenariats public-privé (PPP) sont pour l’UEMOA un levier incontournable pour l’émergence socio-économique au sein du marché commun. Les États Parties doivent alors conjuguer leurs efforts pour une meilleure gouvernance des PPP ; en tout cas c’est ce qui relève du projet que l’Union a entamé lors de la 16e session tenue le 16 juin 2012 à Lomé par les Chefs d’État et de Gouvernement. À l’issue de cette session, une instruction avait été faite aux États : « instaurer une meilleure gouvernance axée aux PPP ».
Il convient de relever que cette recommandation a été confirmée au niveau international par celle n°6 du Guide législatif de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI)[1]. La volonté communautaire d’assainir les politiques de gouvernance nationale en matière de PPP a été devancée par certains pays membres qui ont eu la sagesse d’adapter leur cadre juridique et institutionnel aux exigences du marché commun. C’est le cas du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Bénin, du Togo, du Mali, du Burkina Faso[2].
À la suite de cette projection qui date de 2012, l’Union concrétise sa parole et passe à l’acte. C’est dans ce sillage, qu’à l’occasion de la 3e session ordinaire de cette année, le Conseil des Ministres de l’UEMOA s’est réunie le 20 septembre 2022 au siège de la BCEAO à Dakar (Sénégal) afin de prendre des orientations stratégiques concernant le secteur des PPP. Les textes relatifs à l’implémentation d’une meilleure gouvernance des PPP au sein de l’UEMOA ont été adoptés. Il s’agit de trois (3) textes qui sont :
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La Décision n°07/2022/CM/UEMOA portant adoption de la stratégie d’encadrement des partenariat public-privé dans l’UEMOA.
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La Décision n°08/2022/CM/UEMOA portant modalités de mise en œuvre de la stratégie d’encadrement des partenariat public-privé dans l’UEMOA ;
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La Directive n°01/2022/CM/UEMOA portant cadre juridique et institutionnel des partenariats public-privé dans l’UEMOA ;
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LA VISION STRATEGIQUE
Ces décisions confirment une large vision de l’UEMOA pour la mise en place d’une stratégie de gouvernance des PPP : il s’agit entre autres, de l’adoption d’une stratégie d’encadrement des Partenariats Public-Privé et les modalités de mise œuvre de ceux-ci au sein de l’UEMOA et de l’instauration d’un cadre juridique et institutionnel desdits PPP au sein de l’Union².
Dans le cadre des procédures et encadrements introduits par ces réformes, les implications juridiques consistent à l’harmonisation d’une stratégie procédurale de mise en œuvre des PPP afin de permettre aux États membres d’intégrer les réformes au sein de leurs institutions nationales. L’UEMOA a instauré une uniformisation de la planification des projets de mise en œuvre des PPP dans les États nationaux qui touche plusieurs aspects : il s’agit du cadre institutionnel, de la planification des projets, de l’encadrement procédural et contractuel.
Le cadre institutionnel des PPP au sein des États membres tient compte des principes généraux de gouvernance propre à chaque État, de la planification des projets et enfin du dispositif contractuel et du contrôle de l’exécution des contrats. Ce cadre institutionnel relève de la capacité des États à identifier en amont des projets structurants avant toute mise en œuvre. Il est question de regrouper à la fois le montage contractuel, la passation des PPP et leurs suivis. Pour faciliter cet encadrement institutionnel, des fonctions bien définies ont été soulignées [3] et celles-ci ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des États de l’Union. Par ailleurs, ces États devront veiller à ce que les règles liées « au respect des principes d’autonomie et d’indépendance des acteurs institutionnels » soient respectées.
La planification des projets en ce qui les concernent, consiste à prioriser, « les projets susceptibles d’être réalisés en partenariats public-privé »[4]. Cette logique est d’ailleurs appuyée par la mission phare de l’encadrement des PPP telle que mentionnée dans la Décision N°07/2022/CM/UEMOA sus citée, avec pour but de mettre au service les populations de l’Union « des infrastructures et des services de qualité, dans les conditions sécurisantes, économiquement avantageuses pour les États membres et incitatives pour le secteur privé »[5].
Dès lors, la première étape dans la procédure d’identification des projets, consiste pour les États à bien :
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Analyser les besoins ;
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Faire une étude préliminaire (technique, juridique, économique, environnementale et sociale) ;
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Et, faire une évaluation préalable (témoignant d’une utilité économique et sociale, d’un bilan environnemental positif, de l’avantage de recourir au PPP et d’une soutenabilité budgétaire efficiente)[6].
Ainsi, l’Union a voulu tirer au clair certaines notions pour parer aux confusions qui pourraient être faites dans les cadres nationaux ; c’est à cet effet que des éléments non négligeables sont à prendre en compte tant au niveau de l’offre qui se doit d’être la plus économiquement avantageuse avec une interdiction de modification des termes du contrat et ce, dans le respect de la concurrence. Il faut reconnaître qu’en donnant la possibilité aux États membres de tenir compte de l’ordre de classement des offres, l’Union a voulu anticiper les cas d’échecs possibles lors de la finalisation des contrats de PPP. Cette solution est de bon sens dans la mesure où ce qui prime c’est l’intérêt général et la bonne exécution des projets PPP.
Par la suite, une confirmation des engagements est faite et le contrat attribué au candidat sélectionné par une signature et l’approbation des autorités compétentes.
La Directive ne manque pas de souligner l’intérêt d’insérer des clauses contractuelles, la destination liée à la propriété des biens et au contrôle et au suivi du contrat. Il s’agit d’un montage contractuel qui devra respecter un minimum de règles permettant ainsi une protection non seulement juridique, mobilière, économique des PPP, mais aussi dans une certaine mesure intégrer des notions de garanties et de sûretés des biens des États en « biens de retour, biens de reprise et biens propres »[7].
Cet encadrement juridique tient de ce fait, lieu d’obligation pour tous les États membres dans la mesure où, la Directive a vocation à s’appliquer « dans un délai de trois (03) ans à compter de son entrée en vigueur », les obligeant ainsi à se conformer[8] aux décisions prises.
Les implications juridiques ne se limitent pas à une harmonisation stratégique de la mise en œuvre des PPP au sein des États membres mais elle touche un aspect d’harmonisation procédurale avec des modifications dans le fond et dans la mise en œuvre.
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IMPLICATIONS ET ANALYSE
À l’analyse de la nouvelle approche de l’UEMOA, le contrat de quasi-régie ou « in-house » est l’un des contrats publics échappant à l’application de la nouvelle Directive portant cadre institutionnel et juridique des PPP[9]. Ce dispositif découle de l’idée que la liberté d’entreprendre ne saurait faire obstacle à ce que l’autorité contractante recourt à ses propres services ou entités qu’elle contrôle pour satisfaire ses besoins. Il est à noter que la Directive s’est alignée sur certaines mesures déjà présentes au des États membres, même s’il n'en demeure pas moins qu’elle apporte aussi certaines innovations. On citera dans ce sens :
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La consécration d’une possibilité de dialogue en appel d’offres en deux étapes ;
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L’harmonisation des conditions de recours à la procédure de négociation directe ;
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La définition d’une méthode de calcul de l’estimation financière des PPP
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La possibilité de passer un contrat de partenariats public-privé selon une procédure simplifiée : aucun des États membres ne prévoit cette possibilité.
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La possibilité de réserver des contrats de PPP aux opérateurs économiques installés au sein des États Membres
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L’avènement d’une nouvelle forme de partenariats public-privé : les concessions d’aménagement.
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L’alignement sur les cadres internes
Le contrat de quasi-régie ou « in-house » notamment présent dans les cadres sénégalais, malien, béninois et togolais des PPP, est l’un des contrats publics échappant à l’application de la nouvelle Directive portant cadre institutionnel et juridique des PPP[10] ce qui n’est pas une innovation en soi dès lors que de plusieurs des États membres l’avaient déjà anticipée dans leur réglementation respective en matière de partenariats public-privé. La nouveauté dans la Directive est l’encadrement qu’elle y apporte. En effet, alors que l’exclusion prévue dans les réglementations nationales se limitait dans la plupart des cas à la seule condition du contrôle analogue, les rédacteurs de la directive y ont apporté deux nouvelles conditions : l’entité cocontractante exerce 80 % de ses activités pour le compte de l’autorité contractante et l’entité cocontractante contrôlée ne comporte pas de capitaux privés à l’exception de ceux ne lui permettant pas une capacité de blocage ou de contrôle Précision.
Comme procédures de droit commun, la directive rappelle celles déjà présentes dans les cadres internes, notamment les appels d’offres ouvert en une étape[11] et en deux étapes[12].
Sur les procédures restreignant la concurrence, comme pour chaque État membre de l’UEMOA, la directive prévoit des procédures dérogatoires[13] de passation des contrats de partenariats public-privé parmi lesquelles figure la procédure de négociation directe. Rappelons que le recours à cette procédure permet à l’autorité contractante de conclure un contrat de partenariats public-privé avec un opérateur économique de son choix sans aucune mesure de publicité ni mise en concurrence. La Directive met fin à cette hétérogénéité des conditions de mise en œuvre dans les États membres en posant désormais 4 motifs pouvant justifier le recours à ladite procédure de négociation directe, à savoir :
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Une urgence impérieuse résultant de circonstance imprévue (crise Covid ; guerre en Ukraine par exemple),
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Des motifs liés à la protection d’un droit d’exclusivité du fait de l’existence de droit de propriété intellectuelle ou de secrets en matières commerciale et industrielles,
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L’hypothèse de l’infructuosité d’une précédente procédure de passation (aucune candidature ou aucune offre n’a été remise à l’expiration de la date limite de dépôt des offres)
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Lorsqu’une seule candidature ou une seule offre a été remise à l’issue de la date limite de dépôt des candidatures ou des offres.
Sur l’estimation de la valeur d’un projet PPP, tout comme le Burkina Faso la directive apporte une nouveauté notamment dans le calcul de la valeur estimée du contrat de partenariat public-privé à la différence la majorité des États membres. L’article 3 de la Directive précise ainsi que l’estimation tient compte du chiffre d’affaires total du titulaire pendant la durée du contrat. L’étendue et la complexité des travaux, des services, ainsi que les fournitures associées devront aider l’autorité contractante à estimer le chiffre d’affaires. Une estimation cohérente permettrait à l’autorité contractante d’optimiser les coûts du projet et pourrait également lui permettre de recourir à la procédure simplifiée si l’estimation est inférieure fixé par la commission de l’UEMOA.
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Les innovations de la directive
L’une des innovations de la Directive est celle relative à la possibilité de conclure un contrat de partenariats public-privé selon une procédure simplifiée. Pour cela, la valeur estimée du projet faisant l’objet du contrat doit être inférieure à un seuil défini par la commission de l’UEMOA, par voie de décision. Cette nouveauté pourrait accorder une plus grande marge de liberté aux autorités contractantes des États membres dans la sélection de leurs cocontractants en matière de partenariats public-privé. Les modalités de publicité assouplies, la possibilité de négocier avec les candidats, les modalités de contrôle à priori ou a posteriori assouplies pourraient caractériser cette procédure au sein des États membres.
L’autre innovation concerne la concession d’aménagement qui n’apparait pas dans les cadres internes. Concrètement, dans le respect d’un seuil défini par les États membres, l’autorité contractante pourra réserver certains contrats de partenariats public-privé aux entreprises communautaires entendues comme celles immatriculées au registre de commerce ou des métiers et dont le siège est situé sur le territoire d’un État membre. Les opérateurs économiques internationaux ou non membres de l’UEMOA devraient en conséquence être exclus des procédures de passation relatives à ces contrats. Ce dispositif pourrait stimuler l’entreprenariat ou l’accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique au sein de la communauté de l’UEMOA. La notion de concession d’aménagement n’apparaissait pas clairement dans la plupart des réglementations nationales relatives aux partenariats public-privé, même si elle pouvait se déduire de la définition de la notion de contrat de partenariats public-privé. Compte tenu de l’enjeu que peut présenter ce montage contractuel pour le développement économique et la qualité de vie des populations des États membres, la commission de l’UEMOA consacre la concession d’aménagement comme une catégorie à part entière d’un contrat de partenariat public-privé. Les États membres ont donc désormais un champ d’action plus large lorsqu’ils souhaiteront mener des projets via un contrat de partenariats public-privé.
Ainsi, l’adoption à travers cette directive PPP, d’une vision de projection en matière d’encadrement de ces contrats en zone UEMOA, conforte celle de la régionalisation du droit des affaires et des investissements en Afrique. Par contre 10 ans après la session de Lomé, son adoption posera sans doute une problématique en matière de transposition, si tant est que la plupart des cadres en interne ont précédé l’adoption de cette directive, qui à bien des égards s’aligne plutôt qu’elle n’innove.
[1] Guide législatif de la CNUDCI sur les partenariats public-privé, ISBN 978-92-1005753-0, mai 2021.
[2] Voir le tableau en annexe.
[3] Article 6 de la directive N°01/2022/CM/UEMOA portant cadre juridique et institutionnel des partenariats public-privé dans l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine ; page 8 et 9.
[4] Article 7 de la Directive.
[5] Voir la Décision N° 07/2022/CM/UEMOA (III.2.2 Mission), p,8.
[6] Article 8 de la Directive.
[7] Article 38 de la Directive.
[8] Article 48 de la Directive.
[9] Directive précitée, article 5.
[10] Directive précitée, article 5.
[11] Article 12 de la directive PPP
[12] Article 13, idem.
[13] Articles 14 à 16, idem.